Vive le nucléaire américain ?
Par Michel Gay
Les dirigeants français et européens maltraitent le nucléaire depuis 20 ans.
Résultat : Alors que la France rayonnait dans le monde et dominait l’Europe dans l’industrie nucléaire dans les années 1990, les Américains confortent maintenant leur position en Europe en remportant l’appel d’offre pour une première centrale nucléaire en Pologne.
La Pologne s’engage dans le nucléaire américain
La Pologne, où le charbon est toujours prédominant pour sa production d’électricité, opte pour le nucléaire. Le 28 octobre 2022, ce pays a choisi le groupe américain Westinghouse pour construire sa première centrale nucléaire en 2033, face aux offres concurrentes du sud-coréen KHNP, et surtout du français EDF.
Cette décision va dans le sens de la lutte contre le réchauffement climatique mais elle fait grincer des dents en Europe, notamment en France. La première partie du projet nucléaire polonais est estimée à « 40 milliards de dollars » selon la secrétaire américaine à l'Energie Jennifer Granholm qui a déclaré : « C'est un pas énorme dans le renforcement de nos relations avec la Pologne pour les générations à venir ». Plusieurs générations ? La relation sera donc « durable »… au détriment de l’Europe.
Entre Washington et Varsovie, des liens étroits existent également dans d'autres secteurs stratégiques comme la défense et notamment l'aéronautique militaire (achat de 48 chasseurs F-16 en 2003 et de 32 F-35 en 2020). La Pologne qui ne joue pas la carte européenne, a pourtant bénéficié d'importantes aides européennes pour assurer son développement depuis son entrée dans l'Union européenne en 2004.
Le parapluie américain
La Pologne privilégie ses liens avec les Etats-Unis car elle est convaincue que ce pays sera plus efficace que l'Europe en cas d'attaque de la Russie. Ce sentiment s'est renforcé depuis la guerre en Ukraine. Déjà en mars 2022, un mois après le début de la guerre, lors de la visite de Joe Biden en Pologne, le président polonais (Andrzej Duda) avait annoncé des accords de défense avec les Etats-Unis et avait ouvertement déclaré que le nucléaire civil passerait par un partenariat avec Washington.
Un haut responsable du gouvernement américain s'exprimant sous le couvert de l'anonymat a révélé : « Il ne s'agit pas seulement d'un projet énergétique commercial, il s'agit de la façon dont nous définirons une sécurité interdépendante pour les décennies à venir ». Ce même américain déclare que cette décision « envoie un message sans équivoque au (président russe Vladimir) Poutine sur la force (...) de l'alliance américano-polonaise ».
Manque de bras « nucléaires » ?
Après avoir délaissé le nucléaire depuis plus de 20 ans en abandonnant le projet de quatrième génération Astrid, et en prévoyant dans la loi depuis 2015 la fermeture de 14 réacteurs nucléaires, la France (qui n’a mis en service aucun réacteur nucléaire depuis 25 ans) manquerait-elle maintenant de bras et de compétences ?
Des soudeurs américains et canadiens viennent à la rescousse du nucléaire français en déficit de cette spécialité pour mener les travaux de réparation à la suite d’un important problème de corrosion sous contrainte. Depuis un an. EDF s'appuie sur une centaine de soudeurs et tuyauteurs nord-américains employés par les entreprises Westinghouse et Framatome qui possèdent des filiales outre-Atlantique. Le directeur adjoint de la direction production nucléaire d'EDF (Régis Clément) avait déclaré le 8 novembre 2022 : « ils sont venus en renfort pour nous permettre de passer le pic (…)Tant qu'on a besoin de soudeurs, on mobilise des soudeurs ».
Cruelle Pologne…
La décision polonaise est cruelle pour l’Union européenne car un de ses membres dévoile au grand jour son manque de confiance non seulement dans la défense européenne, mais aussi dans son industrie pour relever les défis du futur.
L’Ukraine aussi commence déjà à discuter de son futur parc nucléaire avec les Etats-Unis…
Même si le Président Macron a changé d’avis et souhaite dorénavant engager la France davantage dans le nucléaire, il serait grand temps pour nos dirigeants européens, et notamment français, d’ouvrir les yeux sur les conséquences néfastes de leurs actes sur la filière nucléaire, et parfois encore pire, de leur inaction.
Comme disent nos « amis » américains « wake-up ! » si la France veut conserver une filière nucléaire dynamique et si elle ne veut pas acheter ses réacteurs aux États-Unis dans 30 ans.