Thorium ! Thorium ! Une illusion entretenue
Par Michel Gay
L’utilisation du thorium pour entretenir une réaction nucléaire dans un réacteur est régulièrement présentée comme une alternative « plus propre » et moins dangereuse que la filière fonctionnant actuellement à l’uranium.
Réalité ou illusion entretenue ?
L’objectif ne serait-il pas pour certains d’attaquer et de détruire une industrie qui fonctionne bien, de faire miroiter de faux espoirs afin de « lâcher la proie pour l’ombre » ?
De plus, il faudrait être naïf pour imaginer que si les réacteurs au thorium étaient développés, les mêmes arguments malhonnêtes utilisés contre la filière uranium ne réapparaitraient pas.
Le thorium n’est que « fertile »
Bien que le thorium 232 soit abondant sur Terre (davantage que l'uranium ou l'étain), il n’est pas fissile : il ne se casse généralement pas sous l’effet d’un neutron en produisant de la chaleur. Il est seulement fertile : il absorbe un neutron sans production de chaleur et se transforme en uranium 233 qui, lui, est fissile.
C’est aussi le cas de l’uranium 238 qui, en se transformant notamment en plutonium 239, produit 40% de l’électricité d’origine nucléaire en France, soit près de 30% de toute la production d’électricité.
Le thorium et l’uranium 238 ne peuvent donc pas être utilisés seuls directement comme combustibles nucléaires, au moins « au démarrage ».
De l’uranium 235 (le seul élément fissile disponible naturellement sur terre, un véritable don de Dieu…), ou du plutonium fissile issu de l’utilisation de l’uranium, est nécessaire pour amorcer un réacteur au thorium.
Il était donc impossible de développer cette filière au début de l’exploitation de l’énergie nucléaire puisqu’elle ne peut venir qu’en aval d’un cycle uranium et plutonium déjà entretenu.
Bien que les États-Unis aient fait fonctionner jusqu’en 1969 un réacteur de faible puissance (8 MW) au thorium à Oakridge, le traitement des combustibles au thorium requiert encore un effort important de recherche et développement (R&D avec leurs aléas) depuis le laboratoire jusqu’à l’usine. Les procédés sont différents de ceux aujourd’hui maitrisés et mis en œuvre à l’échelle industrielle pour les combustibles uranium.
L’utilisation du thorium nécessiterait donc d’établir deux filières distinctes de la mine aux déchets.
Quel intérêt ?
De lourds investissements sont donc nécessaires alors que les procédés industriels sont maîtrisés pour l’uranium 238 (fertile aussi) dont il existe déjà un stock considérable en France et dans le monde.
Cet uranium 238 constitue une réserve phénoménale de combustibles, et donc d’énergie, pour plusieurs millénaires, pour des réacteurs surgénérateurs que la France a su développer il y a 30 ans avec Phénix et Superphénix. En effet, aujourd’hui cet uranium « appauvri » est mis de côté après l’enrichissement en uranium 235 « utile » aux combustibles actuels des réacteurs nucléaires.
D’où le programme international « Génération IV » où la France propose le réacteur surgénérateur Astrid conçu par le CEA. Un réacteur dit « à sels fondus » au thorium, appelé « MSFR » (Molten Salt Fast reactor), fait aussi partie des prototypes à tester dans ce forum.
L’utilisation du thorium pour produire de la chaleur dans un réacteur, et donc ensuite de l’électricité, ne peut donc s’envisager qu’en association avec d’autres éléments fissiles émettant des neutrons capables d’entretenir une réaction en chaîne (uranium 235 ou plutonium).
Il serait aussi possible de produire ces neutrons dans un accélérateur de particules, mais cette voie plus difficile n’a encore jamais été mise en œuvre dans un réacteur électrogène.
De ce fait, sauf pour quelques pays ayant des ressources importantes en thorium, comme l’Inde ou la Chine, le thorium ne présente pas d’intérêt technico-économique sur le court ou le moyen terme, notamment pour la France qui maîtrise un cycle du combustible uranium ayant atteint une maturité industrielle.
Un impact radiologique important
De plus, l’utilisation du thorium produit deux éléments très irradiants pour les travailleurs (rayonnements gamma pénétrants). Certaines étapes de préparation (transport et manipulation) des combustibles neufs et de retraitement du combustible usé nécessiteraient des dispositifs de télémanipulation et de radioprotection plus importants qu’avec le cycle uranium.
Cependant, les produits de fission différents (de ceux de l’uranium) du thorium (demi-vie plus courtes et dégagement de chaleur plus faible) permettraient un stockage plus compact des déchets ultimes. Le thorium serait donc plus propre (tout est relatif).
Mais la radiotoxicité des combustibles usés à traiter n’évite pas un stockage à long terme (quelques centaines d’années).
La filière uranium 233 issu du thorium permet aussi la fabrication d’armes nucléaires. Mais elle n’est pas intéressante, même si quelques essais ont été réalisés, car l’intense rayonnement gamma de l’uranium 232 issu du thorium, complique la fabrication d’une bombe efficace.
La voie la plus utilisée dans le monde (y compris par l’Iran) pour construire une arme nucléaire est la centrifugation pour obtenir un concentré d’uranium 235. Et cette technique ne nécessite pas de réacteur nucléaire.
Un intérêt potentiel à long terme ?
Le thorium présente donc peu d’intérêt industriel à court et moyen terme. La France maîtrise complètement le cycle du combustible à l’uranium et ne rencontre pas de problème d’approvisionnement en combustible.
De plus, le référentiel de sureté, qui a été patiemment établi pendant 50 ans pour la technologie des réacteurs actuels à l’uranium, devrait être entièrement réécrit…et aucun politique ne s’engagera dans un système non maitrisé à l’échelle industrielle !
Sur le long terme (au-delà de 2100 ?), le réacteur dit « à sels fondus », souvent associé au thorium, et dont le combustible est sous forme liquide, peut présenter un intérêt pour valoriser cette ressource fertile également constituée par… l’uranium 238.
Toutefois, même si le réacteur intègre sa propre usine de retraitement de déchets en temps réels (en les retirant au fur et à mesure des sels fondus), cette technique pourrait s’avérer compliquée et susceptible de ne pas fonctionner aussi bien que prévu.
Un réacteur au sel fondu avec du thorium rassurerait certaines personnes en raison de la suppression du risque de fusion du coeur puisque le combustible est à déjà l’état liquide, contrairement à un réacteur classique. Mais c’était aussi déjà le cas avec les surgénérateurs Phénix et Superphénix qui ont tout de même été diabolisés.
La peur irrationnelle, souvent instrumentalisée pour des raisons idéologiques, constitue le principal frein au développement du nucléaire, et le thorium ne rassurera pas davantage que l’uranium.
Ainsi, malgré l’avis de certains « fans » de cette technologie et de quelques néo-pacifistes qui pensent avoir trouvé le saint Graal, le thorium n’est pas la panacée parfois présentée, même si le développement de ce type de réacteurs continue à être étudié par le CNRS.
Si une technologie plus efficace, plus sûr et plus économique émerge, alors elle sera développée et supplantera à terme les autres technologies.
Il n’y a aujourd’hui, et dans le siècle à venir, aucune raison de se précipiter vers …l’inconnu.