Fuite de l’EPR de Taïshan : une manipulation médiatique des Etats-Unis ?
Par Dominique Finon et Michel Gay
Le reportage de la chaine de télévision américaine CNN du lundi 14 juin 2021 sur l'EPR de Taïshan a suscité un incroyable emballement médiatique en France et dans le monde. Il semble résulter d'une manipulation du Gouvernement américain à des fins géopolitiques visant le nucléaire chinois, à partir d'un lanceur d'alertes incongru, le constructeur français Framatome, père de l'EPR.
Une étrange démarche
Selon CNN, cette entreprise française travaillant également aux Etats-Unis aurait informé début juin 2021 le Département de l'énergie américain (DOE) de fuites radioactives à l'extérieur de l'installation de l'EPR de Taïshan. Elle dénonçait également le laxisme de l'autorité de sûreté chinoise qui aurait cherché à cacher le problème en ayant modifié les normes d'émissions radioactives extérieures.
La revue « Nuclear engineering international » du 17 juin 2021 résume bien toute l'histoire :
« CNN a rapporté le 14 juin que Framatome avait averti le DOE d'une "menace radiologique imminente" et accusé la NNSA (l'autorité de sûreté chinoise) de relever les limites acceptables de radiation à l'extérieur de la centrale pour éviter de devoir la fermer. Un rapport de CNN citait une lettre de Framatome de début juin au DOE tirant la sonnette d'alarme et demandant un soutien international. CNN a conclu "Bien qu'il y ait une chance que la situation devienne une catastrophe, les responsables américains pensent actuellement qu'il est plus probable qu'elle ne le devienne pas ».
Donc, c’est un « non-évènement »…
De quoi s’agit-il ?
Quelques pastilles d'éléments combustibles (une dizaine sur 60 000) ont laissé passer un gaz (du krypton et du xénon produits pendant la réaction nucléaire et temporairement radioactifs) en dehors de leurs gaines. Ces deux gaz se retrouvent dans l'eau circuit primaire à des doses infimes. Il n'y a eu aucune hausse de la radioactivité dans l'installation. Cette dernière est restée bien en deçà du seuil défini par l'autorité de sûreté chinoise.
Ce problème « assez rare » et n'est même pas côté dans l'échelle des incidents de 0 à 7. Dans un tel cas, l'exploitant et l'autorité de sûreté ont le choix entre attendre l'arrêt pour rechargement pour corriger le problème d'étanchéité de ces quelques éléments-combustibles ou d'arrêter le réacteur pour procéder à cette correction. L'autorité chinoise a choisi la première option en maintenant une surveillance tandis qu’en France l'ASN (autorité de sureté nucléaire française) aurait choisi l'arrêt des réacteurs pour rectification.
Pourquoi l’entreprise Framatome a-t-elle effectué cette démarche sans connaître précisément les détails du problème puisqu'elle n'a pas d'expert dans la centrale EPR chinoise ?
S'est-elle rendu compte qu'en initiant un puissant processus international de dénonciation, elle se tirait une balle dans le pied en disqualifiant la technique de l'EPR qui est son bébé ?
Comme titrait une newsletter française sur l'énergie le 15 juin 2021 : Les problèmes de la centrale nucléaire chinoise de Taishan mettent en péril l’avenir de l’EPR français.
Pourquoi Framatome serait-elle entrée d'elle-même dans un jeu qui a conduit à détériorer l'image de l'EPR, sa propre technologie ?
Après sa lettre alarmiste de début juin 2021, Framatome s'est contredit à Paris dans un communiqué du 14 juin 2021 ou elle reconnaît qu'il n'y a pas de problème d'émissions radioactives en dehors du réacteur et que "selon les données disponibles, la centrale fonctionne dans le cadre des paramètres de sécurité". Pourquoi cette contradiction ?
Pourquoi les dirigeants de Framatome NP n'ont-ils pas désavoué leur établissement américain qui a envoyé cette lettre au DOE ?
Un scénario possible est que les Américains avaient eu connaissance d'un problème à Taïshan et qu'ils avaient besoin d'un tiers crédible pour annoncer une situation potentiellement critique en Chine. Ils ne pouvaient pas délivrer directement cette information.
Vers une explication géopolitique.
Après son emballement du lundi 15 juin 2021 avec son titre "Alerte nucléaire à l'EPR chinois de Taishan", le journal Le Monde, prenant du recul, s'est risqué le jour suivant à avancer une hypothèse lumineuse permettant l'emboîtement de toutes les pièces du puzzle :
"L'évènement est sans doute plus complexe en termes politiques qu'en termes industriels ou environnementaux (…) Le propriétaire de Taïshan CGN, leader du secteur nucléaire chinois avec CNNC, a été placé par les Etats-Unis, en août 2019, sur la liste noire des groupes avec lesquels les sociétés américaines n'ont plus le droit de travailler. Ce qui n'est pas le cas pour l'Etat français et les sociétés françaises : CGN est partenaire d'EDF depuis 40 ans et finance un tiers des deux EPR d'Hinkley Point au Royaume Uni".
Il est à noter que EDF et CGN seront aussi partenaires pour la construction de deux autres EPR à Sizewell C, ainsi que dans un troisième projet de deux réacteurs à Bradwell, basé sur la technique chinoise de l'Hualong, avec une majorité chinoise.
Ne serait-ce pas un moyen de gêner le développement des intérêts technologiques chinois à l'étranger, et celui de ces co-entreprises de construction de réacteurs nucléaires au Royaume Uni ?
Dans cette perspective, les Etats-Unis ont intérêt à disqualifier les entreprises nucléaires chinoises, ainsi que la technologie de l'EPR. La mise en perspective géopolitique du journal Le Monde suggère que la manipulation américaine jouant habilement de la méfiance vis-à-vis de la Chine, est probable. Cet emballement médiatique constitue un chef d'œuvre digne des meilleurs techno-thrillers géopolitique.
La défiance des médias français vis-à-vis du nucléaire et de l'EPR est un ingrédient majeur de la dramaturgie. Toujours prêts à sonner l'alarme, et admiratifs des médias américains, ils se sont enflammés instantanément sous l'effet du reportage de CNN et de cette manipulation habile de Washington. Ce qui n'a pas manqué de ravir toute la nébuleuse antinucléaire qui a pu agiter ses épouvantails habituels avec de grands effets de manche. Ils peuvent se réjouir : le résultat en France est une défiance accrue vis-à-vis du nouveau nucléaire et de l'EPR.
« Désinformez, désinformez, il en restera toujours quelque chose ! », disait Staline.