Le nucléaire, le citoyen, et l’élu
Article inspiré du débat « Penly » organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP)
Par Frédéric Livet et Michel Gay
Informer les citoyens français sur les propositions gouvernementales de construire de nouvelles centrales nucléaires est une tâche ardue face aux mensonges des antinucléaires et à la désinformation institutionnalisée et quasi-généralisée des grands médias.
Une source d’électricité pilotable et décarbonée doit assurer « la permanence »
Quelques parlementaires, journalistes, et « ONG » ont réussi à faire dérailler la presse, parfois complice. Une désinformation à grande échelle s’est installée durablement afin de promouvoir une pseudo-écologie antinucléaire fondée sur une puissante organisation idéologique informelle bâtie sur la peur, l’émotion, et parfois même le mensonge.
Ainsi, il est passé sous silence que, pour quasiment la même production électrique, l’Allemagne a installé un équipement double de celui de la France : 123 gigawatts (GW) d’énergies renouvelables intermittentes (EnRI) et presque autant de « pilotables » (115 GW). Elle est donc parée pour les périodes sans vent et sans soleil… grâce au gaz et au charbon, ce que peu de médias soulignent !
La France (dite « en retard » par les pro-renouvelables) n’a installé (heureusement) « que » 32 GW d’EnRI.
Pourtant, les résultats de l’Allemagne sont peu reluisants en matière de CO2 car ses centrales au charbon fonctionnent à pleine puissance (dans un silence médiatique assourdissant) pour compenser les prix actuels du gaz !
Trois enseignements peuvent être tirés de cette situation :
- 1) Un fort développement de renouvelables intermittents oblige à garder des sources de production pilotables réactives, notamment au gaz, et ne diminue pas les émissions de gaz à effets de serre.
- 2) L’absence de nucléaire oblige à conserver des centrales utilisant des carburants fossiles émettant beaucoup de CO2.
- 3) La montée des prix du gaz oblige certains pays, notamment l’Allemagne, à utiliser le charbon en substitution (gros émetteur de CO2).
L’Allemagne est un contre-exemple
L’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE) dont le bureau se situe à Paris au ministère de la transition énergétique, regrette « le retard » de la France dans le développement des EnRI.
Or, les « performances » allemandes sont largement plus mauvaises en termes d’émissions de gaz à effet de serre (447gCO2/kWh en 2021 et 480 en 2022) que celles de la France (60 gCO2/kWh en 2021 et 100 g en 2022 à cause de l’indisponibilité de nombreux réacteurs nucléaires), même en incluant les importations d’électricité de pays comme l’Allemagne.
Parfois, le système électrique allemand bat tous les records d’émissions de CO2 (742 g/kWh le 6 décembre 2022), seulement dépassé en Europe par la Pologne (1000 g).
Piètre résultat pour le pays qui se pose en « exemple » en matière de production d’électricité renouvelable « décarbonée » !
L’Allemagne se situe au second rang des pays européens, après la Pologne, en raison de la forte contribution du charbon (28 GW) et de la faible contribution de l’éolien. Lorsqu’il y a peu de vent, les centrales « fossiles » (gaz et charbon) tournent à plein régime. L’Allemagne « verte » est un mythe savamment entretenu.
En l’absence de nucléaire, il est donc nécessaire de recourir aux centrales fossiles pilotables pour combler les manques de vent et de soleil, ce qui montre l’impasse de cette politique.
Il est plus urgent de développer une production nucléaire que d’investir dans des installations renouvelables intermittentes polluant nos paysages.
Si les Allemands avaient conservé les 21 GW de puissance nucléaire qu’ils avaient en 2004 (et pas leurs centrales au charbon…), ils couvriraient aujourd’hui une grande partie de leurs besoins fossiles !
Une grosse puissance éolienne installée, comme en Allemagne (66 GW) et en Grande Bretagne (29 GW) exige de posséder une puissance équivalente en centrales fossiles, ce qui conduit à de fortes émissions. Heureusement, la France, qui a « seulement » 19 GW d’éolien, est moins affectée. Malgré les offensives des courants antinucléaires, un solide socle nucléaire demeure (70% de la production nationale).
La construction de nouvelles centrales nucléaires est une nécessité vitale pour la France.
Quand le vent souffle…
Les projets de ces pays riverains de la mer du Nord sont pharaoniques en matière d’éolien (plus de 150 GW de capacités de production).
Or, ils subissent globalement les mêmes conditions météo. Le vent n’est pas plus régulier en mer. Il y est plus fort, mais tout aussi intermittent. En moyenne, le facteur de charge est meilleur (jusqu’à 45 % au Danemark), alors que sur terre, il est proche de 25%.
Les problèmes posés par l’intermittence sont les mêmes partout en même temps : les vents sur la mer du Nord sont fortement corrélés entre eux. Les éoliennes y produiront ou seront à l’arrêt toutes en même temps. Lorsque le vent souffle sur les 6 pays autour de la Mer du Nord, leurs importantes variations de productions fatales sont difficiles à absorber par le réseau.
Ils pourront donc peu s'entraider quand leurs gigantesques projets éoliens et solaires seront achevés.
Dans le même temps, des températures clémentes peuvent amener une baisse de la consommation électrique provoquant une chute brutale du prix de l’électricité sur le marché « spot » avec des prix… négatifs. L’Allemagne paye déjà parfois les producteurs éoliens pour « effacer » leur production.
Comment alors stabiliser un tel réseau ?
Que feront-ils de toute cette électricité (qui ne se stocke pas en grande quantité) quand il y aura du vent, et qui les alimentera les jours sans vent ?
Il est impossible de s’appuyer sur une telle production aléatoire pour répondre à tout moment aux besoins en électricité des Français.
Les éoliennes ont l’avantage de remplacer dans le cas de la Grande Bretagne une forte production au gaz et, dans le cas de l’Allemagne, une forte production au charbon et au gaz ce qui diminue leurs émissions de CO2 quand le vent souffle.
Mais dans le cas de la France, championne des basses émissions, elles sont une arme contre le nucléaire. Le diminuer ou l’abandonner reviendrait à faire appel au gaz… Beau résultat !
Gardons nos centrales nucléaires, modernisons-les, et construisons-en de nouvelles !
...Ou quand le vent ne souffle pas
Contrairement à l’adage, il n’y a pas toujours du vent quelque part …
Tous les pays qui ont une forte composante éolienne dans leur mix électrique ont en réserve un « backup » (une réserve de puissance essentiellement fossile en cas d’absence de vent) qui grève le prix de leur électricité et leur bilan carbone.
L’Allemagne a compris ce problème depuis longtemps et conserve une puissance mobilisable doublée (entre renouvelables et fossiles). Elle s’est en conséquence orientée vers la construction de centrales au gaz, en anticipant (à tort…) des importations de gaz à bas prix depuis la Russie. Cette politique battue en brèche depuis deux ans l’a conduit à changer ses orientations.
En cas de sortie anticipée du charbon d´ici 2030, il lui faudrait construire de 15 à 43 GW de centrales au gaz.
Malgré leurs tonitruantes déclarations pour le développement des éoliennes et du solaire, les Allemands n’en ont pas fini avec le charbon et le gaz !
La France va au-devant de sérieux problèmes si elle se dote d’une grande puissance d’EnRI, comme annoncé par le gouvernement. Les centrales nucléaires peuvent certes moduler leur puissance mais les pertes de productions affecteront leur rentabilité car les investissements sont capitalistiques. Le « carburant » uranium ne représente presque rien (1%) dans le prix de vente de l’électricité.
Seul le gaz est bien adapté à l’intermittence. C’est une des raisons qui poussent les antinucléaires à la combinaison gaz naturel et renouvelables. Une centrale au gaz ne coûte pas cher à construire mais le prix du gaz est élevé et détermine celui de l’électricité, ce qui explique que les Allemands se soient à nouveau tournés dernièrement vers le charbon.
Au contraire, le coût de construction d’une centrale nucléaire est conséquent, mais pas son fonctionnement. Un réacteur qui ne fonctionne que 40 % du temps double le prix de sa production électrique, passant de 60-70 €/MWh à 100-150 €/MWh.
Les centrales nucléaires sont un bon moyen de combattre les émissions de CO2, et de plus en plus de pays le comprennent : Japon, Corée, Pays-Bas, Royaume-Uni, Pologne, Suède...
Mais si le nucléaire est utilisé en « backup », le surcoût qu’induira l’accroissement de la part des EnRI deviendra important et un danger pour sa rentabilité.
Le solaire photovoltaïque est encore plus inefficace
Le gouvernement français a prévu d’installer dix fois plus de panneaux photovoltaïques (PV) en 2050 (100 GW) qu’aujourd’hui. Toutefois, ni le PV ni l’éolien ne peuvent répondre à la demande en permanence.
En mauvaise saison, le PV produit en moyenne 4 fois moins qu’en été, et la production varie souvent d’un facteur deux d’un jour à l’autre selon la nébulosité.
S’imaginer qu’un jour d’été ensoleillé la France consommera 100 GW de solaire alors que les besoins sont bas, c’est plus qu’une erreur, c’est idiot.
De plus, installer 100 GW de PV occupe 1000 km² de surfaces au sol qui stériliseront des terres agricoles. Le projet d’installer un seul GW à Saucats sur 1000 hectares nécessite d’abattre une forêt. Quelques moutons pourront paître dans les herbes qui poussent entre les panneaux.
Des dizaines de projets « d’agrivoltaïsme » fleurissent en France et des paysans inquiets pour la survie de leurs exploitations se laissent tenter par les promesses pécuniaires, au grand dam des riverains. Le solaire peut rapporter 2500 € par hectare et par an.
Il serait préférable d’aider l’agriculture en difficulté plutôt que de transformer nos paysans en rentiers subventionnés en gaspillant l’argent des Français dans des impasses énergétiques !
Quid des diminutions annoncées des prix des EnRI ?
Après s'être copieusement engraissés, les promoteurs des EnRI se targuent de diminutions des prix.
Cependant, si les prix d’achat selon la CRE sont autour de 91 €/MWh pour l'éolien et de 280 €/MWh pour le PV, les parcs offshores qui sont actuellement en voie d’achèvement ont des prix très élevés (de 110 à 155 €/MWh à St Brieuc), sans compter les externalités (stockages, renforcements des réseaux,…).
Et ce prix n'inclut pas le raccordement, pris en charge par RTE, qui sera facturé aux particuliers sur le TURPE (taxe transport)
De plus, ces EnRI sont gourmandes en matériaux et en espace. Leurs besoins en acier, béton, ou cuivre sont tels que le gouvernement est obligé de prévoir des compensations car les appels d’offres (AO) ne trouvent plus preneurs.
Au-delà des problèmes posés par l'intermittence qui obligent à surdimensionner les infrastructures et à prévoir des « backup » pour les périodes sans vent et sans soleil, il apparaît de plus en plus que les diminutions de prix annoncées sont probablement très optimistes, voire illusoires.
Le nucléaire fournit une énergie décarbonée et pilotable indispensable
L'introduction d'une grande quantité de renouvelables intermittents (éolien, PV) nécessite de conserver une grande puissance pilotable. Le refus du nucléaire conduit à se servir obligatoirement de carburants fossiles.
Le nucléaire en France a des rejets de CO2 estimés à moins de 4 grammes par kilowattheure (g/kWh) (3,7 g/kWh), alors que le charbon est à 800 g/kWh, le gaz vers 450 g/kWh et le PV importé de Chine autour de 45 g/kWh.
Le nucléaire a fait l’objet d’un débat à l’Assemblée
Contrairement à une croyance, il y a eu un débat public à l'Assemblée Nationale en 1975 sur le « plan Messmer » de construction des centrales nucléaires.
Les députés avaient alors compris l'importance de l’investissement du « plan Messmer » poursuivi sous les présidences Pompidou, Giscard, et Mitterrand.
Puis une « guerre » de 50 ans s'est mise en place contre le nucléaire. Une nouvelle structure de débat a été créée, la Consultation nationale du débat public (CNDP).
Toutefois, les lois sont votées par les représentants de la Nation au Parlement. Le débat mené par la CNDP pour une meilleure information de la population est louable mais seulement consultatif.
Le communiqué « le nucléaire, la loi et la constitution »
Ainsi, l’étrange communiqué du 18 janvier 2023 « le nucléaire, la loi et la constitution » cosigné par Chantal Jouanno (Présidente de la Commission nationale du débat public) et Michel Badré se plaignant du rôle secondaire de cette CNDP « pour définir la stratégie énergétique », est pour le moins surprenant.
En effet, le débat public demeure une consultation de citoyens pour donner leur avis mais il ne promulgue pas de lois. Dans la constitution, c’est le rôle du Parlement (Assemblée nationale et Sénat).
Une loi ne peut être modifiée que par la représentation nationale démocratique, et non par la CNDP qui n’est pas inscrite dans la constitution et dont le rôle devrait se limiter à informer le citoyen.
Les élus de la Nation ont divers moyens à leur disposition pour se forger une opinion sur des problèmes. Et la CNDP, dont les débats ressemblent souvent à une foire d’empoigne d’opinions militantes partisanes, ne saurait être le principal, voire l’unique, moyen des élus pour décider une stratégie énergétique.
Dans ces conditions, y compris avec la CNDP dont ce devrait être le rôle, prétendre « éclairer » nos élus et nos concitoyens devient une gageure.