Le mythe du stockage par hydrogène

Par Michel Gay

A partir d’une étude de Hubert Flocard et Jean-Pierre Pervès

Les espoirs du gouvernement semblent actuellement se tourner vers une option de stockage d’énergie futuriste : la production d’hydrogène, notamment par électrolyse.

Quelle est la pertinence d’un stockage des productions excédentaires d’électricité éolienne et solaire sous forme d’hydrogène (produit par électrolyse) capable d’être éventuellement retransformée en électricité ?

Cet article (notamment son annexe plus détaillé) se concentre uniquement sur le stockage des surplus éoliens d’électricité. Il faudrait y ajouter la production solaire mais le raisonnement et la conclusion restent les mêmes.

L’efficacité de la production d’hydrogène par électrolyse est problématique.

Les installations d’électrolyse ne fonctionneront qu’environ 15% du temps sur une année (1000 à 2000 heures sur 8760 heures), et ne permettront de stocker qu’environ 10% de l’électricité produite, pour n’en restituer que moins de 30% compte tenu du faible rendement du processus.

En effet, les rendements (souvent mal connus) sont pénalisants et la faisabilité à des conditions économiques acceptables est loin d’être assurée.

La voie hydrogène de stockage est douteuse :

  • temps de fonctionnement limité,
  • variabilité considérable des pics de production éolienne,
  • investissement important pour un taux d’usage faible,
  • incertitude sur les performances des processus de transformation de l’hydrogène stocké en électricité,
  • et importante perte d’une énergie électrique éolienne initiale déjà chère par elle-même.

L’investissement en générateurs d’électricité de secours utilisant le gaz sera lui-même sous employé dans des conditions souvent peu optimales pour son rendement, et donc coûteux.

La difficulté de stocker l’électricité produite par des énergies aussi variables que l’éolien et le solaire sera la même pour tout type de stockage (hydraulique, pneumatique ou autres).

Surinvestissement, faible taux d’usage, transport de l’électricité d’un bout à l’autre de l’Europe : ces caractéristiques pèseront sur la fiabilité et la rentabilité de ces équipements.

Un pari à l’aveugle

En l’état, les scénarios énergétiques accordant une place importante à l’éolien n’ont pas le niveau de sophistication adapté à l’industrie de l’électricité. Un fonctionnement sans à-coups qui répond instantanément au besoin au coût le plus bas est essentiel pour la viabilité de notre économie et le confort des citoyens.

Le monde politique semble s’orienter à l’aveugle vers des choix de scénarios énergétiques qui peuvent se révéler inefficaces et coûteux, voire dangereux pour les économies de la France et de l’Europe.

Nicolas Hulot avait déclaré « « Nous sommes à l’aube d’une révolution dont on ne connaît pas encore le point d’atterrissage ». Il risque d’être dur… et douloureux.

Annexe à l’article « Le mythe du stockage par hydrogène »

Extrait modifié de l’étude complète originale qui est ici.

Compenser le foisonnement par le stockage.

Une contrainte pèse sur la production d’électricité : à chaque instant la production doit équilibrer la consommation (à 2% près) et sur l’ensemble de l’Europe interconnectée. Une solution pourrait donc être un stockage d’électricité permettant de conserver l’électricité quand il y a beaucoup de vent et de soleil et de la restituer lors des périodes calmes, lorsque la consommation électrique le requiert.

Le stockage d’électricité

En 2010, la puissance des installations de stockage ne représentait alors que 3% de la puissance mondiale totale, principalement grâce à l’hydraulique par l’intermédiaire des Stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Les autres technologies de stockage ne contribuant que pour 0,023%. Elles sont en effet soit balbutiantes (air comprimé), soit inefficaces et coûteuses (batteries).

Or ces dernières années l’accroissement de puissance annuelle des parcs de production intermittente éolienne et solaire est considérable : il était de 45.000 MW en 2010 dans le monde pour une puissance installée totale de 200.000 MW (environ la moitié en Europe).

Les situations européenne et française sont particulières car le développement des STEP est déjà important[1]. Peu seront encore construites puisque les sites de montagne les plus intéressants et les plus efficaces sont déjà largement équipés. Les STEP de vallée ou de bord de mer (atolls par exemple), peu développées, font appel à des tailles d’installations considérables.

Ainsi, selon les divers scénarios, l’hydrogène produit pourrait soit être injecté dans le réseau de gaz naturel, soit contribuer à la production d’électricité (par une turbine à gaz), soit alimenter une pile à combustible, soit servir à produire du méthane avec du CO2 produit par les centrales à combustible fossiles.

Quand mobiliser les électrolyseurs ?

Le processus qui va de l’éolien à l’électrolyseur, au stockage H2 à la production d’électricité est d’une efficacité médiocre (de 20% à 35% environ). L’électricité éolienne doit donc être utilisée directement par injection dans le réseau tant que celui-ci est en mesure de l’accepter.

Le surdimensionnement de la puissance éolienne, et donc celui d’un besoin massif de centrales à gaz en secours, est à éviter.

Les électrolyseurs ne devront donc être mis en route qu’au dessus d’un seuil de « surproduction » éolien en utilisant alors la puissance en excès.

Sur la figure 12, toute la production au dessus du trait rouge, qui représente un seuil possible, est consacrée aux électrolyseurs. Le reste, sous le trait rouge, alimente directement le réseau qui est ainsi soumis à des variations de puissance atténuées, exigeant moins puissance de secours gaz (ou autres).

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Fig. 12– Europe 2030 avec 187.500 MW éoliens.

Sous le trait rouge (24% Pn ou 45.000 MW) l’électricité alimente le réseau. Le reste, au-dessus du trait rouge, alimente les électrolyseurs.

Puissance affectée aux électrolyseurs

La production horaire d’électricité qui, pour un seuil donné, alimente les électrolyseurs est obtenue par soustraction de la puissance alimentant directement le réseau (figures 13 sur 7 mois et détail figure 14 sur 1 mois).

hydrogene 2

Fig. 13 – Europe 2030 avec 187.500 MW éoliens (Sept à mars) :

toute l’énergie produite au-dessus du seuil (24% de Pn ou 45.000 MW) est délivrée aux électrolyseurs.

Pour ce choix d’un seuil à 45 GW, soit à peu près un quart de la puissance éolienne installée, la production d’électricité délivrée en 7 mois aux électrolyseurs est de 10,8% de la production éolienne totale, soit 21,6 TWh.

Le parc d’électrolyseurs fonctionne alors pendant 29,6 % du temps soit 1500 heures sur 5090 heures.

La figure ci-dessous présente le détail de mi-octobre à mi-novembre.

- le temps de fonctionnement est faible et l’énergie fournie aux électrolyseurs est erratique,

- les cinétiques d’évolution sont rapides (67000 MW en 18 heures le 11 novembre),

- les périodes de quasi arrêt sont très longues, de l’ordre d’une quinzaine de jours.

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Fig. 14 – Europe 2030 avec 187.500 MW éoliens (15 oct. 15 nov.): toute l’énergie produite au dessus du seuil (24% de Pn ou 45.000 MW) est délivrée aux électrolyseurs.

En faisant varier la valeur du seuil, la part du talon de production éolienne réservée à une alimentation directe du réseau évolue (figure 15).

Ainsi le nombre d’heures de fonctionnement annuel des électrolyseurs variera de ­6000 h à 400 h par an au-dessus d’un seuil variant de 30.000 à 70.000 MW pour une puissance installée de 187.500 MW (donc entre ~1/6 et un peu moins de 1/2 de la puissance éolienne installée).

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Fig. 15– Europe 2030 avec 187.500 MW éoliens (15 oct. 15 nov.):

heures annuelles de fonctionnement des électrolyseurs en fonction du seuil de puissance au dessus duquel ils sont mis en service.

De la même manière l’énergie fournie aux électrolyseurs peut être évaluée pour produire de l’hydrogène en GWh, ou en pourcentage de l’énergie totale fournie par l’éolien, sachant que la production totale des éoliennes serait de 200 TWh ou 200.000 GWh (figure 16) :

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Fig. 16 – Europe 2030 avec 187.500 MW éoliens (15 oct. 15 nov.):

énergie délivrée aux électrolyseurs (en GWh ou % de l’énergie totale fournie par les éoliennes) en fonction du seuil de puissance au dessus duquel ils sont mis en service.

Pour un seuil médian de 45 GW sur 187,5 GW (ou 24% de la puissance installée) qui optimise l’utilisation du courant éolien, les électrolyseurs recevraient 21,6 TWh sur les 200 TWh produits par les éoliennes (soit 11% de l’énergie).

Avec un rendement de restitution de 35%, seulement 7,6 TWh (ou 3,8%) de l’énergie produite par les éoliennes en 7 mois seraient récupérée.

Le choix d’un seuil plus bas augmenterait certes la productibilité des électrolyseurs mais serait aux dépens de la production d’énergie totale compte tenu du faible rendement complet de ce cycle réversible. Inversement le recours à des centrales à gaz destinées à compenser l’intermittence serait diminué.

Dans un tel dispositif de stockage de l’hydrogène, il s’agira toujours d’un compromis entre perte d’électricité éolienne et besoin de centrale à gaz de sécurité.

Fonctionnement des électrolyseurs

L’investissement en électrolyseurs doit être optimisé par une gestion appropriée de leur fonctionnement.

Cas d’un seuil de démarrage de l’électrolyse placé à 45 GW.

En principe, il conviendrait d’installer un parc d’électrolyseurs capable d’accepter une puissance instantanée de 68 GW (puissance max 113 GW – 45 GW).

Ceci semble excessif étant donné que les pics de forte puissance sont rares.

La figure 13 montre qu’en arrêtant la production éolienne en excès de 70 GW, seulement 3,4 TWh seraient perdus soit 1,7 % de la production.

L’énergie transférée aux électrolyseurs serait alors réduite de 21,6 à 18,2 TWh.

En revanche, la puissance maximale injectable dans le parc d’électrolyseurs serait réduite des deux tiers (à 25 GW), évitant ainsi un surinvestissement notable.

Chaque électrolyseur devrait fonctionner à pleine capacité pour obtenir un rendement optimal. Dans ces conditions, sur un parc de 100 électrolyseurs, le taux de fonctionnement annuel par tranche de 20 électrolyseurs évoluerait de 29% à 6 % (figure 17).

La rentabilité d’électrolyseurs fonctionnant moins de 10 à 15% du temps est douteuse.

Le coût d’amortissement est estimé à 7 $/GJ pour un électrolyseur industriel fonctionnant de manière continue[2]. Avec un taux d’utilisation de 15% le seul coût d’amortissement serait alors voisin de 135 €/MWh,… à ajouter au coût de production de l’éolien, à celui d’amortissement du stockage d’hydrogène, et au coût d’exploitation de l’unité de stockage.

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Fig. 17 – Taux de fonctionnement annuel en % de 100 électrolyseurs, par tranches de 20, pour un parc d’électrolyseurs limité à 25 GW de puissance de fonctionnement crête (la puissance éolienne étant limitée à 70 GW crête sur ordre du gestionnaire de réseau).

Centrales de secours

Il faudrait compléter la production éolienne par d’autres moyens pour assurer une production constante de 45 GW au réseau, soit 229 TWh en 7 mois.

En plus des 199 TWh fournis par les éoliennes directement au réseau électrique, il faudrait injecter les 30 TWh produits par du gaz.

Ou alors les 7,6 TWh stockés dans le cycle hydrogène par grands vents, avec 22,4 TWh produits par du gaz.

Seule cette dernière production est susceptible de répondre à toutes les cinétiques d’évolution du vent.

Les centrales à gaz de secours, dont la puissance devrait être d’environ 35 GW, écart entre le niveau bas de production des éoliennes et 45 GW, ne fonctionneraient donc qu’à 13 % de leur capacité si l’énergie hydrogène est récupérée, ou à 17 % si l’hydrogène est orienté vers une autre filière (injection dans le réseau gaz par exemple avec un meilleur rendement ou méthanation).

Le suivi de charge serait assuré en fonction des coûts marginaux de production par le nucléaire, l’hydraulique pour les pointes hebdomadaires et journalières, le gaz et le pétrole pour les pointes extrêmes.

Conclusion sur le stockage hydrogène

La voie hydrogène de stockage est douteuse :

  • temps de fonctionnement limité,
  • variabilité considérable des pics de production éolienne,
  • investissement important pour un taux d’usage faible,
  • incertitude sur les performances des processus de transformation de l’hydrogène stocké en électricité,
  • et importante perte d’une énergie électrique éolienne initiale déjà chère par elle-même.

L’investissement en générateurs d’électricité de secours utilisant le gaz sera lui-même sous employé dans des conditions souvent peu optimales pour son rendement, et donc coûteux.

La difficulté de stocker l’électricité produite par des énergies aussi variables que l’éolien et le solaire sera la même pour tout type de stockage (hydraulique, pneumatique ou autres).

Surinvestissement, faible taux d’usage, transport de l’électricité d’un bout à l’autre de l’Europe : ces caractéristiques pèseront sur la fiabilité et la rentabilité de ces équipements.

En l’état, les scénarios énergétiques accordant une place importante à l’éolien n’ont pas le niveau de sophistication adapté à l’industrie de l’électricité. Un fonctionnement sans à-coups qui répond instantanément au besoin au coût le plus bas est essentiel pour la viabilité de notre économie et le confort des citoyens.

Le monde politique semble s’orienter à l’aveugle vers des choix de scénarios énergétiques qui peuvent se révéler inefficaces et coûteux, voire dangereux pour les économies de la France et de l’Europe.

 

[1] En France en 2011 la puissance hydraulique installée est de 25,7 GW et la production 67,5 TWh. Les 9 GW de barrages assurent un suivi saisonnier, leur potentiel étant de 16,5 TWh. Les 4,2 GW d’éclusées permettent un stockage « court » (la journée) avec un potentiel de production de 10,6 TWh. Les 5 GW de STEP (environ 20 TWh) mobilisables en quelques minutes répondent aux besoins hebdomadaires.

[2] AFH2 « L’hydrogène : pour relever le défi énergétique du XXIème siècle » - P. Malbrunet & Tapan Bose

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