L’Europe se suicide au gaz
Par Michel Gay
L’équilibre mondial des relations entre les nations est sous tendu par une guerre féroce, celle de l’accès à l’énergie, et notamment au gaz. Ce dernier s’avère de plus en plus nécessaire pour le chauffage et la production d’électricité dans une Europe qui veut réduire le nucléaire, le charbon, et promouvoir les énergies renouvelables intermittentes.
En ruinant son système électrique par manque de vision stratégique, l'Europe ne mesure pas les conséquences de son impéritie qui conduit à l’augmentation de sa dépendance au gaz, et à son suicide.
La guerre du gaz
L’Allemagne recherche depuis longtemps un partenariat privilégié avec la Russie en développant un nouveau gazoduc, appelé « Nord Stream 2 » qui la relie directement à la Russie en évitant l’Ukraine.
Ce projet est porté par l’ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder qui s’est reconverti dans le gaz russe, avec son vice chancelier Joschka Fischer, dès le lendemain de sa défaite politique. Il est aujourd’hui président du conseil d’administration de la compagnie pétrolière russe Rosneft.
Il avait auparavant assuré l’avenir du gaz, en soutenant le plan de sortie du nucléaire allemand et la promotion des énergies intermittentes (éolien et solaire) dont le faible temps de fonctionnement assure la dépendance aux centrales d’appoint… au gaz, et aussi au charbon / lignite allemand.
L’enjeu est d’importance pour la Russie et pour l’Allemagne qui se préparent à détenir sur leur sol les vannes du gaz européen à l’horizon 2030.
Un parc nucléaire qui fait de l’ombre à l’Allemagne
Mais la France dispose encore d’un double avantage sur ses voisins grâce à son parc nucléaire :
- 1) une moindre dépendance énergétique aux énergies fossiles (46% contre 61,9% en Allemagne selon la Commission européenne),
- 2) de faibles émissions de CO2 (6 gCO2/kWh pour le nucléaire, contre plus de 400 gCO2/kWh pour le gaz et 900 gCO2/kWh pour le charbon)
Il en résulte qu’une augmentation significative de la taxe carbone est inacceptable pour l’Allemagne tant que demeure l’avantage considérable de la production électrique décarbonée de la France grâce à son nucléaire (environ 70%).
En mars 2018, le rapport franco-allemand Agora Iddri intitulé « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » indiquait déjà (page 91) :
« L’évolution du parc de production nucléaire en France influera sur la rentabilité du parc à charbon en Allemagne. (…). À l’inverse, si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la compétitivité des centrales à charbon en Allemagne sera améliorée ».
Augmentation de la dépendance énergétique
Une réduction de la production nucléaire française d’électricité sera immanquablement compensée par une augmentation de celle du gaz russe… transitant par l’Allemagne.
Dans cette guerre économique, la pression « amicale » de l’Allemagne est à craindre, notamment par l'intermédiaire de l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE) dont les bureaux sont implantés dans les locaux mêmes du Ministère français de l’écologie.
Parallèlement, des organismes allemands, tels que la fondation H. Böll financent des sondages permettant de diffuser l'information que les Français seraient opposés au nucléaire.
Quand il s’agit de tuer le chien nucléaire français, on peut aussi l'accuser d'avoir la rage.
La maîtrise de l’approvisionnement en énergie transformera l’échiquier politique de demain. L’axe germano-russe a déjà placé ses pièces maitresses dans le domaine du gaz.
La Russie, l'Iran et le Qatar détiennent la majorité des ressources en gaz de la planète. Ils représentent une « Troïka du gaz » dont les sanctions américaines ne parviennent pas à entamer les liens.
Les dernières sanctions des Américains contre l’Iran leur auront cependant permis d’évincer TOTAL de ce pays.
La récente mondialisation du marché du gaz grâce au transport maritime sous sa forme liquéfiée (GNL), bouleverse la donne de l’énergie. Elle permet notamment à la Russie et aux Etats-Unis d’exercer leur influence sur des pays lointains, et notamment sur l’Europe.
Les besoins énergétiques grandissants des pays émergents laissent également augurer des tensions sur le marché du gaz, sur fond d’épuisement des réserves mondiales.
Les idiots utiles
Face à de tels enjeux, tous les moyens sont bons, y compris la manipulation des « idiots utiles ».
La ruine du secteur stratégique de l’énergie peut conduire à la prise de contrôle de la politique européenne par des puissances étrangères (Russie, Etats-Unis, Chine, …)
Par exemple, l’offre publique d’achat (OPA) de la Chine sur Energias de Portugal pourrait en faire le bras armé de ses nouvelles routes de la soie en Europe et devrait ouvrir les yeux des dirigeants sur ce risque majeur.
La Chine a déjà bénéficié du financement des pays « développés » (annexe B du protocole de Kyoto) en captant la majorité des « mécanismes de développement propre » (Clean Development mechanism) avec notamment plus de 300 projets éoliens financés pour la seule Mongolie intérieure.
Ces sortes de nouvelles « indulgences » permettent en réalité aux occidentaux d’avoir bonne conscience pour continuer à polluer chez eux, comme le constate avec cynisme le China Institute dans son rapport (page 7).
Ces financements principalement occidentaux ont aidé la Chine à devenir le premier constructeur mondial d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Ce « retour » inattendu a des conséquences délétères dans tous les systèmes électriques européens sous perfusion de subventions étatiques piochées dans les poches des contribuables.
Amalgame entre objectifs et moyens
Pour tenter de construire un avenir sans combustible fossile, la folle politique énergétique européenne, confondant objectifs et moyens, se focalise sur le développement des énergies renouvelables du vent et du soleil. Ces dernières se sont pourtant révélées inefficaces pour atteindre les trois objectifs qui leur étaient assignés : réduire l’impact environnemental, renforcer la sécurité d’approvisionnement, et maîtriser les coûts.
En effet, malgré la multiplication de coûteux démonstrateurs, aucune avancée technologique ne permet d’espérer stocker massivement l’électricité produite par des sources d’énergie intermittentes à un coût acceptable par la collectivité.
L’accès à l’énergie devrait être un enjeu majeur de l’élection présidentielle 2022 pour provoquer un débat public n’ayant jamais vraiment eu lieu. Les barnums de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) sur la « transition énergétique » ont été le théâtre d’affrontements dogmatiques, clientélistes, et partisans. Le résultat désastreux attaque aujourd’hui le portefeuille et le confort des Français dont certains recevront la pathétique aumône de 100 euros. Des élus irresponsables et incompétents ont ouvert à l’aveuglette un chemin de croix pour l’industrie et les plus démunis.
Et maintenant ?
Désemparés par leur impéritie, les dirigeants politiques français et européens doivent désormais pallier en urgence leur imprévoyance. Ils sont maintenant contraints à une fuite en avant pour tenter de corriger l’errance dans laquelle ils ont entraîné une nation et tout un continent.
Malgré l’évocation d’un monde plus solidaire et apaisé autour de l’écologie, le combat pour la maîtrise de l’énergie est violent : c’est celui du pouvoir, de l’indépendance, et de la survie des nations.
Et la géopolitique est cruelle pour les perdants. L’Europe se suicide en augmentant encore sa dépendance au gaz en remplaçant une partie de sa production nucléaire par des énergies renouvelables intermittentes. Sentant l’aubaine, des vautours rôdent.