L’e-carburant : c’est (presque) nouveau, mais c’est idiot ! Où est la cohérence énergétique ?
Par Michel Gay
Dans le sillage de la Commission européenne, la France veut interdire les moteurs thermiques en 2035.
Mais au moins quatre autres membres de l’Union européenne s’effraient de la future catastrophe industrielle prévisible dans la construction automobile et soutiennent les « e-carburants » au mauvais rendement (issus de l’électricité verte…) pour repousser cette échéance.
L’efficacité et la sobriété étant 2 des 3 piliers de la stratégie énergétique de la France, comme l’a rappelé l’ancienne ministre de l’énergie Barbara Pompili le 15 février 2023, où est la cohérence de la politique énergétique européenne ?
Plus c’est gros, plus « ça passe » !
Le Parlement européen a voté le 14 février 2023 (340 voix pour, 279 voix contre et 21 abstentions) l’interdiction de la vente des véhicules neufs à moteur thermique à partir de 2035, dans moins de 15 ans !
Toutefois, cette interdiction votée à une courte majorité vient d’être rejetée le 7 mars dernier par le Conseil de l’Union sur demande de l’Italie, de la Pologne, de la Bulgarie et surtout de… l’Allemagne.
En effet, sans le poids de ses 83 millions d’habitants, impossible d’atteindre les 65 % de la population de l’Union européenne nécessaires à l’adoption ! Dans un surprenant volte-face, l’Allemagne a refusé « in-extremis » cette folle proposition. Les constructeurs de voitures allemandes savent aussi faire des calculs et ils n’ont pas dû apprécier la plaisanterie…L’Allemagne s’est soudain souvenu que l’industrie automobile nationale, basée sur le moteur thermique, faisait vivre environ 14 % de la population, et que l’électrification trop rapide du parc automobile européen ouvrait un boulevard à la Chine en avance sur ce sujet.
L’Allemagne soumise depuis des décennies à ses écologistes (« grünen ») a commis beaucoup de bêtises en matière d’énergie. Elle a cependant réussi la prouesse d’affaiblir la France en supprimant l’avantage comparatif que lui donnait son énergie électrique nucléaire propre et bon marché. Via les règles de l’Union européenne, l’Allemagne a forcé la France docile à vendre à vil prix à ses concurrents une partie de sa production nucléaire tandis qu’elle-même devenait un des pays les plus polluants d’Europe.
Malgré un Green New Deal européen qui subventionne beaucoup de petits malins dans le secteur des énergies renouvelables, les carburants issus du pétrole ont encore un bel avenir...
Les quatre états membres (Pologne, Italie, Bulgarie, Allemagne) qui ont fait capoter l'accord au dernier moment proposent toutefois de continuer à faire fonctionner les véhicules thermiques avec des « e-carburants » (ou électro-carburants ou e-fuel, le mot essence ou diesel disparaît) produits en usine à partir d'électricité et de CO₂. Mais ces derniers n'existent que dans les laboratoires et seront produits à des coûts exorbitants.
Le progrès, c’est génial !
Le gouvernement italien a estimé que « le choix de l’électrique ne doit pas être la seule voie vers le « zéro émission » de CO2 dans la phase de transition. Le succès des voitures électriques dépendra en grande partie de leur accessibilité à des prix compétitifs ».
Pour continuer à paraître vouloir « sauver la planète », ces quatre pays proposent de ne plus interdire purement et simplement les véhicules thermiques, mais de les autoriser si le carburant est « vert ».
Quelques « détails » devraient cependant être résolus avant de jeter à la rue une partie des 13 millions d’européens qui travaillent dans ce secteur.
- Comment gérer ce massacre social ?
- Comment produire et à quel coût cette électricité supplémentaire ?
- Comment charger tous les véhicules électriques et produire ce « e-carburant » ?
- Qui va fabriquer les batteries qui viennent essentiellement d’Asie aujourd’hui ?
- De qui dépend l’avenir du véhicule électrique ?
De plus, fournir de l’électricité aux véhicules « à zéro émission », nécessitera de reconstruire entièrement le réseau électrique. Le coût gigantesque sera supporté par tous les consommateurs d’électricité, y compris ceux qui ne possèdent pas de véhicule électrique.
L’utopie des e-carburants
La solution alternative de secours qu’ils proposent (continuer à faire fonctionner les moteurs thermiques avec des e-carburants) est donc encore plus invraisemblable que celle du choix du véhicule électrique. L’Europe met une fois de plus la charrue avant les bœufs, comme ce fut le cas pour les biocarburants et à présent aussi pour l’hydrogène dans les transports. Ces vecteurs ou sources d’énergie n’existent que dans la tête des politiciens et des promoteurs.
L’Europe commet là une erreur encore plus grave que de promouvoir le transport « tout électrique ». Les e-carburants sont une vieille et mauvaise idée. Depuis 1973 et jusqu’en 1990, l’Europe avait déjà essayé de produire économiquement de tels carburants alternatifs. Ils se sont révélés inefficaces et trop chers pour être utilisés par les Européens dans les voitures et les camions. Ce programme, bien que techniquement réalisable, n’avait aucun sens économique et a été abandonné.
Envisager que soudainement de tels carburants puissent-être produits rapidement est irréaliste. Autant charger directement l'électricité dans des batteries dont le rendement est cinq fois meilleur !
Ainsi, une voiture électrique avec batterie présente un rendement d’environ 75 % de la production d’électricité à la roue, une voiture à hydrogène (produit avec de l’électricité verte) environ 25 %, et ce rendement descend à moins de 15 % pour une voiture thermique alimentée par un e-carburant liquide (Voir graphique).
Une batterie est donc 5 fois plus efficace qu’un e-carburant car il faut 5 fois moins d’électricité pour parcourir la même distance !
Utiliser des e-carburants inefficaces afin de conserver le moteur à combustion représenterait donc un énorme gaspillage d’énergie et d’argent public. Dans une époque où les économies et la sobriété forcée sont vantées, ce serait même une injure au bon sens des Européens auxquels nos politiciens mentent.
Les véhicules électriques à batterie offrent une meilleure voie vers la décarbonation, bien qu’ayant aussi de nombreuses tares, dont une autonomie relativement faible et un coût élevé. Les ventes actuelles des véhicules électriques ne se développent que grâce à des subventions, notamment pour les entreprises.
Une passivité mortelle
L’industrie automobile européenne tétanisée a été trop longtemps passive et/ou écartée comme un « lobby » face à l’écologisme radical. Elle subira un coup fatal si elle se berce d’illusions avec les e-carburants en faisant semblant de croire qu’ils permettraient de poursuivre la production des voitures thermiques. Ce ne sera pas le cas car l’économie se sera effondrée avant… et il ne restera plus de clients pour acheter des véhicules.
Étrangement, la France soutient fermement cette date butoir de 2035, totem idéologique vert, par la voix de Manon Aubry, députée européenne, co-présidente du groupe de gauche au Parlement européen. Cette dernière a déclaré : « même si on n’est pas prêt à passer à du tout-électrique parce qu’on n’est pas outillé en matière de production d’énergie, l’ambition écologiste doit primer sur les lobbies de l’industrie automobile ».
En effet, ces derniers alertent à grands cris sur l’absence de solution de remplacement et sur le coût d’un tel cataclysme industriel et social.
La députée européenne Manon Aubry avoue aussi ingénument que ce choix est irréaliste et coûtera cher aux européens, mais tant pis ! « C’est bon pour la planète ! ». Le Français qui n’a pas les moyens de s’acheter une voiture électrique prendra « les transports en commun » et devra chercher des « alternatives de transport ». Dans un mode incantatoire, elle préconise de développer une voiture électrique moins chère. Comment ? demande le journaliste… Réponse : « Ça fait partie des sujets qui ne sont pas complètement (et même pas du tout) réglés par la directive européenne », mais allons-y gaiement !
L’objectif déclaré de cette députée écologiste étant de réduire, voire de supprimer la circulation des voitures et des camions, c’est effectivement un excellent moyen…
Les utopies atterrantes dans le secteur automobile ne manquent pas : tout électrique, hydrogène, solaires, et maintenant e-carburant.
Pourquoi cette folle course en avant ?
Lorsqu’un (ir)responsable politique propose une idiotie et qu’elle périclite en dépit d’une distribution à tous vents de beaucoup de subventions publiques, notamment dans les énergies renouvelables, c’est parce que trop peu d’argent a été mobilisé. Il faut donc encore en faire davantage ! Et son délire est le plus souvent justifié par de talentueux discours où des chiffres sont rarement produits en face des mots. Il s’agit simplement de nier les lois de la physique et d’enjoliver la réalité en maquillant les erreurs pour être élu, et réélu, par des électeurs abusés, hélas plus sensibles à l’image et à l’émotion qu’aux faits.
Les politiques comme les technocrates n’ont jamais de comptes à rendre, ni aucune obligation de résultats. Ils n’assument aucune responsabilité.
Des idées saugrenues, voire délirantes, sont régulièrement mises en avant pour réduire les émissions européennes de CO2 qui représentent pourtant seulement 1 % des émissions mondiales. Mais il faut donner l’exemple au reste du monde… qui s’en moque.
D’où viendra l’électricité ?
Quoi que fassent ou déclarent les politiciens, les lois de la physique ne changeront pas. La volonté de décarbonation du secteur des transports avec un carburant fabriqué avec de l’électricité et du CO2 est non seulement illusoire (surtout s’il s’agit de l’extraire de l’air ambiant), mais nuisible pour l’intérêt général car ruineux, et en plus… il n’est pas propre (monoxyde de carbone, ammoniac, particules,…). Ces « politiciens » envisagent simplement de détruire inutilement le secteur automobile européen qui est pourtant en pointe.
Pendant ce temps, la Chine construit deux centrales à charbon par semaine !
Quelques activistes européens bien placés au Parlement et à la Commission rêvent de faire basculer à marche forcée toute l’activité économique vers l’électricité décarbonée alors que cette dernière ne représente que 3 % de la consommation globale d’énergie en Europe !
Or, pour alimenter la flotte de transport routier de l'Europe avec des e-carburants, l'Union européenne devrait produire environ deux fois plus d’électricité décarbonée que sa production totale actuelle d'électricité, encore essentiellement issue du gaz et du charbon. C’est irréaliste.
Les e-carburants pourraient être envisagés marginalement et ponctuellement dans un futur lointain pour les secteurs où n'existent pas encore d’alternatives aux hydrocarbures, par exemple pour l'aviation. Mais même en diminuant le trafic aérien européen par deux, les e-carburants dédiés à ce secteur absorberait environ un quart de la production d'électricité européenne actuelle.
Les e-carburants beaucoup plus chers et rares que les carburants fossiles ne seront donc utilisés que sous la contrainte, qu’elle soit physique ou politique.
Encore une erreur de l’Allemagne suivie par l’Europe
La mainmise de l’Allemagne sur la politique énergétique de l’Union européenne qui a voulu copier l’EnergieWende en l’appelant transition énergétique ne semblait pas inquiéter la France jusqu’à récemment. La passivité des États membres a laissé librement s’exprimer la volonté hégémonique du voisin d’outre-Rhin qui pour se libérer du nucléaire et de la dépendance pétrolière du Moyen-Orient, a augmenté sa dépendance au gaz russe et aux batteries asiatiques.
Le marché des véhicules thermiques (dits aussi à combustion interne) continuera de croître dans le monde dans les pays en développement qui sont loin de disposer de la suffisance électrique et du réseau compatible avec l’alimentation des véhicules électriques. Les constructeurs automobiles européens en déclin sur les moteurs thermiques ne seront donc pas présents sur ces marchés émergents ou délocaliseront pour construire sur place.
Inefficace mais politiquement correct
Comme pour le « tout-renouvelable », le même aveuglement s’est installé dans le secteur automobile. Les compagnies d’électricité et les géants allemands de l’automobile savaient pourtant que l’EnergieWende était irréalisable, mais elle était « politiquement correcte ». Ils se sont donc tus en attendant des jours meilleurs…
Le groupe franco-italien Stellantis a tout de même réagi. Il a quitté l’association européenne des constructeurs automobiles (ACEA) en juin 2022 parce qu’elle avait accepté la mainmise allemande.
Il est incompréhensible d’utiliser l’électricité pour fabriquer à grands frais avec de mauvais rendements des hydrocarbures qui seront disponibles pour beaucoup moins chers hors d’Europe.
Imposer en 2035 les véhicules électriques, à hydrogène ou avec du e-carburant constitue une erreur stratégique dont les Européens devront payer les graves conséquences.
L’hypocrisie grotesque des e-carburants finira peut-être par s’imposer. Qui se souvient aujourd’hui des politiciens qui ont imposé de coûteuses stupidités aujourd’hui abandonnées comme l’énergie de la houle, les hydroliennes, les biocarburants, ou la route solaire ?
Lorsque des innovations (ou présentées comme telles) sont lancées, les médias en font leurs gros titres, mais lorsqu’elles sont abandonnées, c’est au mieux un entrefilet qui les mentionne.
Les décideurs d’aujourd’hui ne seront plus là en 2035...
Ainsi va l’Union européenne, d’erreur en erreur, en gaspillant l’argent des citoyens priés de payer des taxes qui ne sont pas perdues pour tout le monde, notamment pour les promoteurs de ces inepties...
L’e-carburant, ça sonne bien, c’est beau, et c’est politiquement correct pour s’extraire de la consommation des énergies fossiles, mais c’est inefficace et c’est idiot !
Après l’ivresse des envolées lyriques pour aller vers un monde d’air pur et d’eau fraîche, hâtons-nous lentement, sinon le retour à la réalité sera douloureux.
Source image : Transport et environnement